« Le livret est un produit très français qui a toujours très bien marché »

« Le livret est un produit très français qui a toujours très bien marché »

Interview de David Charlet, président de l’Association nationale des conseillers financiers (Anacofi).

« Le livret est un produit très français qui a toujours très bien marché »
Crédit photo © D.R.

Après trois années de crises successives, les temps sont à la rigueur budgétaire. Le gouvernement, qui planche en cette rentrée sur les moyens de réduire la dépense publique sans alourdir les impôts des ménages, entend par ailleurs accélérer le rythme de la transition énergétique et la réindustrialisation de la France.

Un impératif à la fois écologique et politique transcrit dans un projet de loi sur l’industrie verte. Voté cet été par les deux assemblées parlementaires, le texte doit encore être approuvé en dernier ressort par une commission mixte paritaire qui devrait se réunir au début de l’automne. Pour financer ces ambitions, dans un contexte économique encore morose, l’Etat compte sur le levier de l’épargne des Français, dont le bas de laine ne désemplit pas depuis la pandémie de Covid, mais reste principalement conservé dans des véhicules peu risqués et très liquides.

Afin de réorienter la "cagnotte Covid" vers des investissements au temps long que nécessite l’ambition de réindustrialisation verte, le projet de loi prévoit notamment la création d’un nouveau livret jeune et une meilleure mise en avant des fonds durables dans les contrats d’assurance vie et les PER. Ces propositions constituent-elles une réponse suffisante à la hauteur des enjeux ? Nous avons posé la question à David Charlet, président de l’Association nationale des conseillers financiers (Anacofi).

Le projet de loi Industrie verte* consacre tout un chapitre au financement de la transition énergétique et industrielle. Plusieurs mesures visent à réorienter l’épargne des ménages vers des investissements durables, comme le renforcement de l’offre des fonds "solidaires" et du private equity dans les contrats d’assurance vie, ainsi que la création d’un "Plan d’épargne avenir climat" pour les jeunes. Ces dispositions vont-elles dans le bon sens ?

Nous sommes plutôt favorables à ces propositions. La mise en place d’une "obligation absolue" de proposer des investissements verts aurait pu poser problème – puisque le droit européen nous interdit d’imposer à un épargnant d’investir dans un produit ESG s’il ne le souhaite pas – mais elle n’a pas été retenue.

Quant à la création d’un nouveau "livret vert", celle-ci n’est pas une mauvaise idée dans la mesure où les livrets sont très appréciés, mais elle peut paraître un peu marginale en comparaison aux autres mesures d’accompagnement déjà adoptées.

Je pense qu’il est important de rappeler le contexte dans lequel ce projet de loi s’inscrit. En réponse à la crise sanitaire, l’Union européenne a pris une décision politique forte : celle d’axer son rebond économique et son développement futur sur l’ESG.

La législation européenne en matière de finances et de patrimoine a évolué en ce sens (règlement SFDR, Taxonomie…), et elle a donné naissance à toute une série de nouvelles obligations pour les professionnels.

A mes yeux, il y a deux dispositions très puissantes en matière d’épargne issues de ce tournant européen vers l’ESG : la première est celle qui impose à tout professionnel de l’épargne dans l’Union européenne, quel que soit son corps de métier, de recueillir les caractéristiques ESG de son client, d’une manière assez détaillée. Et la seconde est l’obligation, pour ces professionnels, de tenir compte de ces préférences dans leurs propositions d’investissement en respectant une procédure que l’on nomme la "gouvernance produits", qui est l’identification d’une gamme de produits correspondant à différents profils de clients, y compris en matière d’ESG.

Pour que ces mesures soient efficaces, évidemment, il faut mettre à la disposition des outils d’investissement adéquats. Pilier fondamental de la transition énergétique, le développement de l’industrie verte nécessite ainsi des investissements de très long terme. Il faut donc amener les épargnants soit à prendre plus de risques, soit à placer leur épargne dans des enveloppes relativement sécurisées mais dédiées à des investissements longs, et éventuellement rendues attractives par des dispositifs fiscaux. C’est le principe du Plan d’épargne retraite, dont la gestion à horizon expose les titulaires du plan à un niveau de risque qui décroît dans le temps, et c’est un vrai succès.

Le questionnaire de préférence ESG ** que vous mentionnez marque-t-il une réelle amélioration dans la sensibilisation du grand public aux produits financiers durables ?

Tout à fait. Si de nombreux conseillers avaient déjà intégré la dimension ESG dans leur devoir de conseil, le niveau de recueil de l’information restait succinct. Dans la plupart des cas, cela consistait à savoir, si oui ou non, l’ESG intéressaient leurs clients, ça n’allait pas plus loin.

Aujourd’hui, nous disposons d’une nomenclature réglementaire extrêmement claire, très détaillée. Nous devons poser des questions précises sur les préférences des épargnants relatives à chacun des trois piliers de l’ESG, les interroger s’ils sont intéressés sur entre une dizaine et une vingtaine de thématiques selon les cas, pour déterminer précisément leurs intérêts, mais aussi leur demander quels sont a contrario les secteurs ou les entreprises dans lesquels ils ne veulent surtout pas investir.

Le recueil de ces informations, obligatoire pour tous les acteurs de la distribution de produits financiers en Europe, est une grande avancée qui nous permet de connaître parfaitement les attentes de nos clients sur la thématique ESG. Elle permet aussi d’impliquer les professionnels dans l’acculturation financière du grand public puisque la loi impose par ailleurs de joindre à ces questionnaires tout un ensemble d’informations, d’explications et d’éléments de preuves.

L’un des principaux reproches du grand public en matière de placements ESG est leur complexité, si ce n’est leur opacité…

La difficulté aujourd’hui se situe plutôt du côté de l’offre produit, qui n’est pas « notée » et détaillée de la même manière que le questionnaire ESG "client". Comme il n’y a pas d’harmonisation entre la méthodologie du questionnaire ESG et les notations des produits d’investissement, il nous est donc difficile de trouver les produits adéquats. Et pourquoi ? Principalement parce que les fonds eux-mêmes ont du mal à obtenir des entreprises ces données ESG, qui ne sont pour l’instant obligatoires que pour les grandes sociétés et celles cotées. Et même lorsque ces données existent, le scoring reste très périlleux, les données recueillies sont très différentes d’une entreprise à l’autre et de fait, sont difficiles à remonter.

A l’Anacofi, nous souhaiterions que tous les fonds soient dans l’obligation de publier dans leur document d’information clé (DIC) un "cartouche" de profil ESG qui corresponde à celui de nos questionnaires ESG "clients". Ce dispositif aiderait beaucoup les conseillers et distributeurs à sélectionner les fonds conformes au profil de leurs clients, et serait aussi beaucoup plus lisible pour les épargnants. Cet effort d’harmonisation et de simplification bénéficierait à tout le monde.

Comment expliquer le choix du gouvernement de lancer un nouveau livret ciblant les jeunes, alors qu’on sait que ces derniers disposent de peu de moyens et d’une épargne limitée ?

C’est un choix pragmatique. Le livret est un produit très français, qui n’a pas vraiment d’équivalence en dehors de nos frontières, et qui a toujours très bien marché. L’idée, c’est de proposer un produit déjà très populaire, mais aussi une solution simple à déployer pour les professionnels.

Concernant les jeunes, on sait effectivement que cette catégorie de population n’a pas beaucoup d’argent, mais on sait aussi par ailleurs qu’elle est beaucoup plus sensible que ses aînés à la thématique ESG.

Le pari est donc sans doute de proposer à ces jeunes épargnants un produit plus risqué que le fonds en euros sur une thématique qui les inspire particulièrement, afin qu’ils continuent par la suite à épargner "responsable" lorsqu’ils auront davantage de moyens. L’idée est aussi sûrement que ces jeunes sensibilisent eux-mêmes leurs parents à l’ESG par le biais de ce nouveau livret.

Il faut que la nouvelle génération apprenne ce que les précédentes n’avaient pas appris - accepter d’investir sur le long terme. En ce sens, proposer un produit tout de même sécurisé, mais moins liquide et potentiellement plus rémunérateur que le Livret A ou le fonds en euros, est une bonne idée.

Une réforme des droits de successions est l’une des pistes défendues par l’Anacofi pour financer l’industrie verte et la transition écologique. Que proposez-vous exactement ?

Nous pensons qu’il pourrait être intéressant d’alléger la fiscalité des transmissions, notamment celle des donations intergénérationnelles, en conditionnant un avantage fiscal supplémentaire à un investissement dans l’ESG par exemple.

C’est un peu la même logique que celles, défendue par le passé, de proposer une exonération complémentaire de droits si la succession est réinvestie dans la résidence principale ou dans les titres d’une entreprise. Nous pensons que ce mécanisme pourrait être efficace, surtout si l’on considère que la population qui en bénéficierait, la jeune génération, dispose d’une appétence forte pour l’ESG.

Utiliser les dispositifs de transmission comme leviers d’investissement ESG nous semblent d’autant plus pertinents que l’un des premiers moteurs de la gestion de patrimoine reste l’aide des proches, ce que l’on appelle la "Love Money". En Europe, cette solidarité financière familiale et interpersonnelle est très forte. Elle est même l’un des moyens de financement des PME les plus développés au sein du Vieux Continent !

*Adopté en 1ère lecture le 21 juillet à l’Assemblée nationale, le texte doit encore être examiné par la commission mixte paritaire du Parlement.

**Le recueil des préférences ESG des clients des banques et des intermédiaires « offrant un conseil en investissement ou un service de gestion de portefeuille » a été rendu obligatoire par la législation européenne entre l’été 2022 et le 1er janvier 2023.

©2023
L'Argent & Vous
David Charlet

Le parcours de David Charlet

président, Association nationale des conseillers financiers

David Charlet est président de l’Association nationale des conseillers financiers (Anacofi) et de CC&A Finance Patrimoine Formation.

Association professionnelle française des entreprises de courtage et conseil en banque, finance, assurance et gestion de patrimoine, l'Anacofi réunit plus de 7.000 entreprises cumulant un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros, et générant près de 30.000 emplois directs.