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Exit TotalEnergies ou encore Shell des fonds labellisés ISR ? Le Comité du Label ISR propose d'appliquer une réforme assez ambitieuse du référentiel, qui pourrait ne pas faire que des heureux...

En chantier depuis plus de deux ans, la refonte du label ISR, le référentiel du marché français qui garantit la durabilité des fonds d’investissement, est enfin en train de prendre forme.
Epinglé par un rapport de l’Inspection générale des Finances en 2020 pour sa méthodologie de sélection généraliste et un peu trop laxiste, le label faisait depuis près de deux ans l'objet de travaux de réforme...
En avril dernier, le Comité du Label ISR en charge de cette refonte, a publié un ensemble de propositions de modifications qui pourraient donner un coup de fouet au label français.
Alignement avec les objectifs climat de l'Accord de Paris
Pour atteindre l’objectif de « proposer un label plus exigeant, plus lisible et plus efficace », le Comité du Label préconise un ensemble de mesures qui doivent rendre les critères de sélection ESG plus exigeants tout en y intégrant systématiquement un pilier "climat" - une nouveauté qui s’inscrit logiquement dans le cadre des objectifs de transition énergétique de la France et de l’application de l’Accord de Paris (visant la neutralité carbone en 2050).
Si la proposition du Comité reste attachée au caractère généraliste du référentiel, « la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique ont pris une telle importance pour les épargnants qu’il est nécessaire de s’assurer à travers la labellisation ISR que les effets sur le climat font bien l’objet d’une attention particulière par les gérants des fonds labellisés », explique-t-il.
Avancée notoire dans le cadre de ces objectifs climatiques : le Comité du label souhaite introduire des exclusions sectorielles très ambitieuses – alors que le référentiel dans sa version actuelle n'en prévoit aucune.
Exclusions
Il est ainsi proposé d’exclure de facto du référentiel les émetteurs dont plus de 5% de l’activité vient du charbon (calculé en part du chiffre d’affaires) ou des énergies fossiles non conventionnelles (calculé en part de la production totale d’hydrocarbures), ceux développant des projets pour ce type d’énergie, mais aussi les producteurs d’électricité dont les émissions de gaz à effet de serre « sont trop élevées pour être alignées avec les objectifs climatiques de l’Accord de Paris (selon des seuils définis dans le référentiel) », ainsi que les secteurs du tabac et des armes "controversées".
« La démarche du comité du Label est assez habile, car le message c’est : "on ne souhaite pas exclure par principe les énergies fossiles mais on souhaite les accompagner dans la transition" », commente Grégoire Cousté, délégué général du Forum pour l’Investissement responsable.
« Si ces propositions du comité sont retenues par Bercy, les grandes majors du pétrole seraient donc exclues des fonds labellisés ISR. Ce serait une avancée déjà significative, car cela enverrait un signal fort aux épargnants pour qui la présence d’une entreprise comme TotalEnergies dans des fonds estampillés "développement durable" reste assez incompréhensible », souligne-t-il.
Un fonds labellisé ISR sur cinq environ comptant le groupe français en portefeuille, son inéligibilité, si elle se confirme, devrait créer une petite révolution dans le milieu de la gestion financière durable…
Trajectoire carbone
« L’objectif n’est pas de cibler des entreprises mais des activités : si la majorité des principaux énergéticiens [hors producteurs d’électricité] sont concernés [par ces exclusions] en l’état actuel de leurs pratiques, leur retrait des activités faisant l’objet de critère d’exclusion les rendrait éligibles à la sélection par les fonds labellisés, sous réserve de la mise en place d’un plan de transition crédible », précise le Comité du Label ISR, qui défend une logique exigeante d’accompagnement dans la transition énergétique.
Ce qui induit de « traiter avec une vigilance renforcée les entreprises dont les enjeux climatiques sont les plus forts », comme celles utilisant les énergies fossiles conventionnelles, mais aussi le secteur des transports et l’industrie de façon générale, en exigeant une trajectoire carbone initiale, une gouvernance et des moyens cohérents avec l’objectif de neutralité en 2050 issu de l’Accord de Paris, et dont une analyse détaillée sera exigée « progressivement, en fonction de la taille des entreprises ». « Cette exigence représentera une barrière à l’entrée forte dans les fonds labellisés », souligne le Comité.
Relèvement du seuil de sélectivité
Sur la méthodologie de sélection des fonds – plutôt technique - le comité préconise notamment de renforcer les règles de définition des univers d’investissement de référence, ou encore de passer d’un seuil de sélectivité des valeurs composant le fonds d’investissement ISR de 20% actuellement à 30% (en excluant de la sélection du fonds les 30% d’entreprises les moins bien notées en matière d’ESG).
L’ approche de "double matérialité"* serait rendue obligatoire, pour améliorer la mesure de l’impact potentiel des entreprises sélectionnées par les fonds sur l’environnement, le domaine social et la gouvernance. Sont également prévus un renforcement des procédures d’alerte et de suivi des controverses, ou encore des exigences relatives à l’engagement actionnarial, en s’assurant notamment que les fonds labellisés exercent leur droit de vote dans plus de 90% des assemblées générales…
Un meilleur équilibre des trois piliers de l'ESG
Enfin, et en dépit de l’importance accordée au volet climat, le comité recommande que le label ISR exige un équilibre minimum pour les trois piliers de l’ESG (environnement, social, gouvernance) avec, pour chacun, une prise en compte d’au moins 20% dans la notation globale – là où aujourd’hui, les gérants des fonds labellisés ISR peuvent opter pour la pondération de leur choix.
Les contributions publiques des différents acteurs de la place, qui avaient jusqu’à la fin du mois de mai pour les partager avec le Comité en réponse à ce projet de refonte, ont salué dans leur ensemble la volonté de renforcer les exigences de la labellisation.
Des conceptions hétérogènes du rôle de la labellisation
Les réserves exprimées et modifications proposées sont très hétérogènes. Elles traduisent, sur ce sujet particulièrement complexe, deux grandes visions de l’ESG : les défenseurs d’une acception plutôt stricte des fonds responsables – excluant les activités les plus polluantes, exigeant une forte transparence dans le niveau d’engagement ISR des supports labellisés – et ceux attachés au financement de l’ensemble des acteurs économiques dans leurs démarches de transition verte, considérant que le rôle des fonds ISR est de soutenir les investissements nécessaires à cette transition.
Pour les premiers, les propositions du Label pourraient aller plus loin dans le champ des exclusions et les critères de sélection des fonds. Pour les seconds, ces préconisations sont au contraire bien trop restrictives…
Dans sa réponse publique, LBP AM (nouvelle dénomination de La Banque Postale Asset Management) souligne par exemple que les exclusions sectorielles conduiraient à limiter « la possibilité pour nombre de sociétés de gestion […] de peser dans l’engagement [ESG] avec les entreprises du secteur […] à un moment critique pour la transition des économies et alors que la pression actionnariale commence à démontrer sa capacité à porter ses fruits. »
D’autres arguent qu’un label ISR trop strict risquerait de créer un marché de l’investissement à deux vitesses, avec d’un côté les meilleurs élèves labellisés, et de l’autre, ceux qui jugeront le label trop contraignant et fourniront encore moins d’effort qu’actuellement en matière d’engagement ESG, « préférant déclasser leurs fonds en Article 6 ».
A l’opposé de cette conception, le FIR souhaiterait pour sa part que la refonte soit plus ambitieuse. Dans sa réponse à la consultation publique, l’association salue « un projet de référentiel qui propose des avancées significatives, notamment sur les exclusions, les exigences de sélectivité et avec une prise en compte renforcée de l’engagement actionnarial ».
Mais « l’approche du label ISR reste une approche de professionnels de l’investissement, qui manque de s’adresser au grand public », pointe Grégoire Cousté, le délégué général du FIR.
Label gradué
L’association prône en ce sens la mise en place d’un « label gradué », à plusieurs niveaux d’engagement ("ISR Généraliste", "Transition", "Investissement Durable/Impact") qui serait beaucoup plus lisible et transparent pour les épargnants.
« Cette gradation est de plus en plus indispensable pour assurer la robustesse du signal qualité que doit être le label, alors qu’il couvre aujourd’hui une hétérogénéité de produits, au niveau de durabilité disparate. L’enjeu est de développer une offre labellisée qui réponde aux attentes de durabilité des épargnants de manière crédible et selon leur niveau d’exigence qui peut être très variable », précise le FIR au Comité du Label, qui envisage des travaux sur une démarche de gradation du label « dans un second temps ».
Le Forum pour l’investissement responsable regrette aussi que l’ensemble des enjeux environnementaux ne soient pas davantage pris en compte (en prévoyant par exemple des exclusions au titre de la biodiversité) et que les produits à impact*, « notamment dans le non coté »,ne soient pas non plus mis en avant, constatant que « cette ambition de contribution positive demeure largement absente des propositions du comité ».
Le comité du Label, qui étudie en ce moment les contributions publiques du FIR et d’une trentaine d’autres acteurs du secteur, rendra sa copie finale au ministre de l’Economie d’ici au milieu du mois de juillet.
« Nous allons peut-être amender certaines de nos mesures à la lumière de ces propositions, mais nous ne devrions pas changer les grandes orientations de notre projet de refonte », a déclaré Michèle Pappalardo à Boursorama le 24 mai. Le dernier mot du contenu de la réforme, toutefois, appartiendra à Bercy… l’exclusion du pétrole et du charbon du Label ISR n’est donc pas encore actée…
*Concept, repris dans la réglementation européenne CSRD, selon lequel les entreprises doivent rendre compte de leur impact sur le développement durable et inversement.
**en référence aux entreprises apporteuses de solutions "concrètes" aux défis de développement durable.
