Réforme du label ISR : Bercy retient l’exclusion des acteurs du pétrole

Réforme du label ISR : Bercy retient l’exclusion des acteurs du pétrole
  • 1

TotalEnergies dans les fonds ISR, c'est bientôt finito.

Réforme du label ISR : Bercy retient l’exclusion des acteurs du pétrole
Crédit photo © iStock

Alors que la rumeur courait que le ministère de l’Economie ne retiendrait pas le critère d’exclusion les producteurs d’énergies fossiles non conventionnelles, Bruno Le Maire a annoncé ce matin sur BFM TV/RMC que la nouvelle version du label ISR, qui sera présentée à la fin du mois, exclura les entreprises qui exploitent du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels, ainsi que celles qui lancent de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage d’hydrocarbures, tandis qu’un plan de transition aligné avec l’Accord de Paris sera requis pour que les entreprises soient éligibles aux fonds labellisés ISR.

« Nous devons offrir un label simple et efficace pour permettre aux Français de donner du sens à leur épargne, a déclaré le ministre de l’Economie et des Finances. C’est ce que nous faisons avec ce nouveau label ISR, dont la lutte contre le réchauffement climatique devient un incontournable. Nous permettrons ainsi aux épargnants de prendre en compte la transition écologique et aux entreprises de financer plus facilement leur décarbonation »

Bercy a ainsi tranché en faveur des principales recommandations du comité du label ISR transmises cet été sur le bureau de M. Le Maire après plus de deux années de travaux. L'exclusion du charbon et des hydrocarbures ira même plus loin que les propositions du comité, indique l'entourage du ministre puisqu'elle comprendra, outre les émetteurs dont plus de 5% de l’activité vient du charbon (calculé en part du chiffre d’affaires) ou des énergies fossiles non conventionnelles, « tous ceux projetant de nouveaux projets d'hydrocarbures, qu'ils soient conventionnels ou non » (le comité proposait d'exclure seulement les projets d'extraction d'énergie conventionnelle).

Maintien du "caractère généraliste"

Selon les recommandations du comité, Bercy a également prévu de « conserver le caractère généraliste du label, avec une sélectivité renforcée sur les autres critères environnementaux, sociaux et sociétaux, ainsi que de gouvernance. » « En particulier, les sociétés de gestion devront s’assurer de limiter les incidences négatives de leurs investissements, en matière environnementale, sociale ou de gouvernance », précise le ministère, reprenant par ailleurs la préconisation du comité du Label d’adopter obligatoirement l’approche de double matérialité* pour mesurer l’impact des entreprises en matière d’ESG.

Est également confirmé par le cabinet de M. Le Maire le renforcement de la sélectivité des valeurs composant un fonds d'investissement, en passant ce seuil de sélection de 20% actuellement à 30% (en excluant de la sélection du fonds les 30% d’entreprises les moins bien notées en matière d’ESG).

D'autres ajustements « techniques » doivent encore être étudiés et tranchés ces trois prochaines semaines avant que Bercy ne rende sa copie définitive mais « les décisions les plus politiques sont prises », explique une source au ministère de l'Economie. « Nous allons proposer un label ISR sans ambigüité, sans note de bas de page, pour à la fois restaurer la confiance des épargnants et assortir la labellisation ISR d’une logique d’impact beaucoup plus forte qui serve l’ambition de la France : celle de devenir la première nation décarbonée d’Europe d’ici à la fin du mandat du président de la République. »

Déclassement

L’application de ces exclusions devrait créer un certain remous dans le milieu des sociétés de gestion financières, un fonds labellisé ISR sur cinq environ comptant actuellement des acteurs des énergies fossiles comme TotalEnergies en portefeuille.

« En adoptant un label plus ambitieux, cela signifie bien sûr que l’univers d’investissement sera réduit, reconnaît cette même source. A date, nous ne connaissons pas exactement le nombre de fonds d’investissement qui subiraient un "déclassement" en vertu de ces nouvelles exigences. La part des fonds concernés est sans doute bien supérieure à 20% mais elle n’atteint pas non plus les 80%. Mais les fonds ont un an pour s’adapter, ce qui permettra d’éviter un déclassement général. Certes, la nouvelle version du label est exigeante, mais elle est aussi calibrée pour que les fonds aient envie de l’utiliser et fournissent les efforts nécessaires. L'idée n'est bien sûr pas de transformer le label ISR en certification de niche qui n'intéresserait personne. »

Depuis longtemps, le maintien de producteurs d'hydrocarbures dans ces fonds estampillés ESG était mal perçu du grand public et rendait difficile la compréhension du label ISR. Leur exclusion était depuis longtemps demandée par les représentants de la finance durable, comme l'association FAIR, Novethic ou encore Reclaim Finance.

« En excluant les entreprises qui développent des nouveaux projets fossiles des fonds labellisés ISR, Bruno Le Maire reconnait le caractère irresponsable de ces entreprises dans un contexte d’urgence écologique, a déjà réagi Antoine Laurent, responsable plaidoyer France de l’ONG Reclaim Finance. Si les critères seront précisés dans le nouveau référentiel, il est certain que des entreprises telles que TotalEnergies, BP ou ENI seront exclues du périmètre d'investissement. C’est une avancée majeure pour ce label en quête de crédibilité et un signal clair et bienvenu envoyé en amont de la COP28 sur l’urgence à sortir les financements des énergies fossiles pour les rediriger vers les énergies soutenables. »

Fonds durables ?

Le "laxisme" du label ISR avait été reconnu par l’Inspection générale des Finances dans un rapport publié en 2020, ce qu'ont corroboré depuis un ensemble d’enquêtes sur la composition des portefeuilles des fonds labellisés. Sans compter qu’avec près d’une dizaine de différentes certifications ESG en Europe – aux critères et aux exigences hétérogènes – le fonctionnement de ces labels reste globalement illisible pour la plupart des épargnants.

La nouvelle version du Label ISR entrera en vigueur le 1er mars 2024 pour les nouveaux fonds labellisés, et une année plus tard pour les véhicules d'investissement déjà labellisés à cette date.

La prise en compte de ces nouvelles exclusions devrait certainement permettre à cet univers de gagner en crédibilité, le label ISR étant le plus répandu en Europe (un peu plus de 1.350 à fin juillet, soit la moitié des fonds européens labellisés, selon Novethic).

A date, la majorité des fonds "responsables" ne présenteraient en réalité aucun engagement quantifié en matière d'impact ESG. D'après une enquête de Novethic, publiée en octobre, huit fonds labellisés sur dix sont classés en "Article 8 SFRD", classification qui n’impose que des exigences de base (les portefeuilles relevant de cette classification devant simplement promouvoir des caractéristiques environnementales, sociales et de bonne gouvernance), contrairement à la classification "Article 9", plus stricte, qui impose aux fonds de fixer des objectifs d’investissement durable.

*Concept, repris dans la réglementation européenne CSRD, selon lequel les entreprises doivent rendre compte de leur impact sur le développement durable, et inversement.

©2023
L'Argent & Vous

A lire aussi

Chargement en cours...